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Attention au chien qui dort

Jasmine Navarro-Mendez, collège La Varendaine, Buxy, 71
 

 Je m’appelle Einstein. Enfin, je n’ai pas toujours eu de nom car en ce temps-là, j'étais encore un chien de la rue.

C'était un matin de brouillard, comme il y en a si souvent à Londres, aux alentours du 1er décembre. Le froid engourdissait mon museau et je me sentais terriblement seul, lorsque j'ai vu, pour la première fois, celui avec qui j'allais devenir millionnaire.
 
C'était un homme de soixante ans environ, dont la tête était couronnée d'une touffe de cheveux argentés. Il portait une grande blouse blanche retournée au niveau des poignets et semblait avoir de la pitié pour moi. Je n'étais qu'un jeune chien à cette époque-là et je n'avais guère de chance de survivre à cet hiver. Il me prit dans ses grands bras et m'emporta chez lui. C'est depuis ce jour que je suis devenu Einstein.

Le temps passait et je découvrais le laboratoire de mon maître et ses multiples sortes de fioles, toutes rangées sur une étagère sous laquelle j'avais choisi de m'installer. Mon maître n'avait pas le temps de me promener, c'est pour cela que j'occupais une grande partie de ma journée dans le jardin à regarder les gens qui passaient dans la rue. La plupart ne me prêtaient pas attention, d'autres s'arrêtaient pour me parler et me caresser. Un maigrichon avait même pris l'habitude de me lancer des friandises :

« Alors, mon vieux, comment ça va ?

- Laisse ce cabot tranquille, Sam, et ouvre l'œil !» ajoutait son drôle de compagnon.

C'était un rondouillard, court sur pattes, qui portait une chemise crasseuse sous une veste de cuir qui le boudinait.

Un jour, Sam me lança un biscuit pour chien que j'avalai en trois coups de mâchoires. L'habituel « Comment ça va aujourd'hui? » fut remplacé par :

« Bonne sieste mon vieux !

- Tu as intérêt à ce que ça marche, j'ai horreur des chiens » vociféra le rondouillard.

Je me sentis soudain extrêmement fatigué et je me traînai jusqu'à ma couchette pour m'y laisser tomber, bousculant l'étagère. Quelques fioles éclatèrent autour de moi, ma truffe me piquait tandis que je sombrais. Puis, plus rien...

Quand je me réveillai, mon maître était agenouillé près de moi. J'essayai de me lever, mais mes membres me faisaient souffrir comme si j’avais couru plusieurs kilomètres sans m'arrêter. Je vis que le laboratoire était dévasté.

Plus tard, en écoutant mon maître répondre aux questions des inspecteurs, je compris ce qui s’était passé. Sam et son complice m’avaient fait avaler un somnifère pour dérober un dossier. Mon maître se consacrait à la recherche d’un vaccin contre une maladie grave qui risquait de contaminer plus de la moitié des êtres vivants. Ses recherches venaient d’aboutir. Les deux malfrats voulaient vendre les résultats à un grand laboratoire. Seulement voilà, j’avais bousculé l’étagère, ce qui avait fait tomber plusieurs flacons dont un d’acide citrique juste sur ma truffe. J’étais alors devenu fou de rage et j’avais couru partout dans la pièce, renversant fioles et instruments. Les voisins qui étaient habitués à notre calme, s’inquiétèrent et appelèrent vite la police. Les deux crapules furent surprises au moment où elles franchissaient le portail. On libéra mon maître qui avait été enfermé et qui récupéra son précieux document.

Quelques mois plus tard, le vaccin fut mis au point et distribué dans le monde entier. Nous nous enrichissions peu à peu, ce qui permit à mon maître de rééquiper son laboratoire. Parfois, on l'invitait à des émissions de radio et même de télévision.

Maintenant, nous sommes riches. Mon maître, qui n'a pourtant plus besoin de travailler, passe des journées entières dans son laboratoire. Quant à moi, les gens ne me regardent plus de la même façon. Ils me lancent souvent des friandises, mais je ne les touche pas. Certains me prennent même en photo. A ce moment-là, je bombe le torse et redresse les oreilles.