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Demain je reviendrai

3e - Sujet n°1 - 1er prix

 

Tamara GOUEL 
Collège Bibracte 
CHATEAU-CHINON
 

 Demain je reviendrai ! 

 

 

 


Près de Stenay, Mars 1917

Chers tous,

 

Je vous écris cette lettre de l'arrière, je viens juste de revenir du front avec ma section et je profite de ce court répit pour vous envoyer de mes nouvelles. Je reçois régulièrement vos témoignages d 'affection et j'aimerais pouvoir vous en écrire autant...

Je voulais vous remercier pour toutes ces lettres qui m'aident chaque jour à tenir cette vie infernale que je mène, que nous menons tous, là-bas dans les tranchées. Vous me demandiez justement plus de détails sur ma vie quotidienne, et j'ai honte d'avance de la douleur que je vais vous causer, de la peine que je vais vous faire et la tristesse dans laquelle toi, ma pauvre mère, je risque de te plonger par mes révélations.

Cependant je dois m'épancher, il faut que je vous décrive l'horreur de mon quotidien. Si vous pouviez seulement imaginer... Le froid, la boue et les rats nous assaillent chaque jour. Là-bas, l'hygiène n'existe pas. Lorsque je suis arrivé ici, dans les camps de l'arrière, il me semblait étrange de marcher sur la terre ferme, tellement je suis habitué à l'instabilité et le manque de fiabilité de la boue. La boue... Mes vêtements, mes chaussures, mes quelques effets personnels et jusqu'à ma nourriture en sont imprégnés. On raconte même que dans une tranchée, un soldat est mort englouti par cette substance gluante.

Le froid est un autre de nos fléaux et croyez-moi, pas un des moindres ! Le matin il me réveille et le soir il m'empêche de trouver le sommeil compensateur. Cependant le printemps arrive bientôt et la vie deviendra alors plus supportable. Le printemps... Il me semble si loin le temps où dans notre belle campagne de Champagne, il éclairait notre horizon de soleil, où il tapissait nos champs de petites fleurs. Mais quand cette guerre stupide finira-t-elle ? Quand reviendrai-je auprès de vous ?

J'ai l'impression qu'il s'est écoulé des siècles depuis le jour où je suis parti de chez nous, le sourire aux lèvres, entouré de tous mes amis, persuadés, pauvres naïfs que nous étions, qu'elle serait courte cette guerre... Quelques mois et nous reviendrons ici juste à temps pour les foins ! Ah notre belle arrogance ! Elle s'est bien vite envolée en fumée !

L'horreur de cette guerre, pire qu'une boucherie m'a apporté de cruelles désillusions ! Et je me demande si je reviendrai un jour dans mon village. Ici, la mort nous environne. Elle nous guette incessamment, cachée dans une balle, dans un obus ...

Chaque fois que je reviens d'une offensive et que l'absence de beaucoup de nos camarades est constatée, j'ai l'impression d'être un miraculé. Vous ne connaissez pas cette sensation de vous lever le matin et de contempler l'aube naissante en songeant que ce sera peut-être la dernière... Et lorsqu' il faut sortir de la tranchée pour s'élancer à l'attaque, cette appréhension, cette peur qui vous envahit et ces tremblements qui vous prennent. Pourtant, au cœur de l'action, on oublie tout. La seule chose qui compte, c'est de survivre coûte que coûte, plus rien n'existe. On est pris dans un tourbillon de couleurs sombres, il faut éviter les obus, les trous et avancer surtout, avancer, encore et toujours, avancer ! Puis, reculer, laisser les pointes des casques ennemis s'éloigner aussi et rentrer. ! Rentrer, et se demander pourquoi on est toujours là quand autour de vous tant de visages familiers n'apparaissent plus...

Nous avons aussi d'autres ennemis, et quelquefois je me demande s' il ne sont pas plus redoutables encore que les Allemands. Ces ennemis que tous les soldats combattent quotidiennement, ce sont les rats. Je crois qu'il n'existe pas de fléau plus terrible que les rats ! La nuit parfois, je les sens courir sur moi, leur petites pattes griffues s'agrippant à mes vêtements. Oh ! Quelle sensation ! Oh ! Quel dégoût ! Il faut aussi leur disputer chaque morceau de notre maigre nourriture et lutter contre toutes les maladies qu'ils véhiculent. Cependant, parler de cela m'empêche de me concentrer sur le véritable but de ma lettre : vous demander de vos nouvelles et vous poser les mille questions qui me tracassent chaque jour.

Vous, ma seule raison de survivre dans cet enfer : l'idée à laquelle je me raccroche, le souvenir de vos visages, qui me guident et me soutiennent au quotidien. Et toi, Marie, mon amour. Dans les moments les plus durs, c'est à toi que je me raccroche, celle qui m'attend, celle qui m'aime !

Alors, dites-moi comment est la vie au village ? Connaissez-vous déjà les privations ? La guerre vous a-t-elle également rattrapé à sa façon ? Oh, fléau des hommes! Quand cesseras-tu de broyer les vies dans ta machination infernale ? Quand cesseras-tu de faire crier les cœurs, pleurer les mères et les enfants? Pourquoi souffles-tu ton vent de haine sur les peuples les obligeant à s'entretuer au nom de principes et de causes trop vites oubliés ? Vous me manquez tellement ! Écrivez-moi ! Même si les mots de ma petite sœurette Marguerite m'emplissent les yeux de larmes. Chère petite sœur, toi que j'ai quitté petite fille, serais-tu vraiment devenue à présent une jeune fille ? Et toi, petit Pierrot qui avait encore du mal à courir quand je suis parti, aides-tu vraiment notre pauvre père aux champs ? J'aimerais également savoir ce qu'ont donné les récoltes. Avez-vous fait de bons chiffres cette année ? Comment vont les affaires ? Mon cher père, toi qui devais bientôt cesser ton activité et pour qui je faisais déjà les plus durs travaux de la ferme, j'espère que tu ne peines pas trop à faire tourner notre commerce, en plus de notre ferme.

Ma mère, ma tendre mère si dévouée, si aimante, vos lettres m'apprennent que tu t'inquiètes trop pour moi. J'aimerais te rassurer, te dire que je serai bientôt de retour dans le pays. D'ailleurs il paraît que la fin de la guerre n'est pas si loin... Je l'espère ! Et en attendant, je t'envoie mes sentiments les plus tendres.

Dites également à Marie combien je l'aime, qu'elle m'attende. A mon retour, que je crois maintenant imminent, nous nous marierons comme nous nous le sommes promis avant mon départ pour cet enfer.

Et puis, transmettez également à la Jeanne toute ma tristesse pour son Simon, qui lui ne reviendra jamais. Soutenez la de toutes vos forces, il ne lui restait que lui. Pour moi aussi, cette perte est bien cruelle. Il était mon camarade de toujours.

Je relis cette lettre et la trouve bien incomplète. Cependant l'encre commence à manquer et il y a certaines pensées que même les mots ne peuvent retranscrire... Je vous embrasse tous et vous envoie tout mon amour.

 

Louis qui vous aime

 

PS : Peut-être qu'à cause de la censure qui réglemente, paraît-il, le courrier des soldats, vous ne recevrez jamais cette lettre. Alors, si le temps le permet, j'en écrirai une demain plus modérée, à laquelle j'ajouterai les mille choses que je n'ai pas réussies à vous transmettre par celle-ci.

Que votre souvenir et votre amour me guident et me ramènent le plus vite possible auprès de vous dans notre village. Peut-être pour le printemps ! Alors, la campagne en fête m'accueillera parée de toutes ses couleurs neuves.

 

 

 

Stenay, 23 Mars 1917

J'ai retrouvé cette lettre dans les effets personnels de votre fils disparu héroïquement au combat ce 21 Mars 1917 et je me permets de vous la faire parvenir pensant accomplir ainsi ses dernières volontés.

Sincères condoléances.

Sœur infirmière Louise de Valois