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Un soir un livre 2011-2012

  Activité gratuite ouverte à tous, y compris les non adhérents.

On discute d'un livre choisi d'un commun accord auparavant.
On peut même venir juste pour attraper le désir de lire...
Pour s'informer, participer, organiser, accueillir... Jeanne Bem : jeannebem@yahoo.fr

Le livre de Marie-Hélène Lafon, "Les pays", a suscité une très bonne discussion. Tout le monde était d'accord sur la qualité de cette écrivaine: elle allie une grande simplicité avec une véritable écriture. Le fond du récit est autobiographique - elle se concentre, entre un prologue et un épilogue, sur les quelques années (décennie 1980) où Claire (la jeune femme qui la représente) fait ses études de lettres à Paris. Mais Marie-Hélène Lafon bouleverse le genre de l'autobiographie. Bien sûr, son expérience compte, et son regard de jeune provinciale montée à Paris depuis son Canatl natal, et sa sensibilité, ses rencontres, les images qui condensent ce qu'elle a vu et ressenti. Mais s'il n'y avait pas son écriture, ce ne serait qu'une autobiographie de plus. Dans une interview à France Culture (La Grande Table, 3 décembre 2012), elle dit que le matériau verbal est son seul instrument. Pour ce qui est de l'expérience, elle se réfère à Raymond Depardon et à son film "La Vie moderne". Un des thèmes des "Pays" est la disparition du monde rural. Lafon garde un souvenir vibrant de ses étés de jeunesse à la campagne, de la dureté mais aussi de la riche matérialité de ce monde de la ferme. Comme chez le cinéaste, il n'y a chez elle aucune nostalgie, aucun sentimentalisme. Une autre de ses références est Flaubert, "Un coeur simple". Au cours de la discussion, on a parlé d'une certaine distance, des ellipses, de la retenue. Mais on s'est accordés pour dire qu'il y a par en-dessous le frémissement des émotions, une véritable subjectivité. C'est une différence avec Annie Ernaux. Il y a aussi de l'ironie, de la satire dans le regard de Lafon sur les codes des intellectuels, leurs rituels, les manies des citadins. Dans la troisième partie, elle est devenue elle aussi une femme moderne, libre et seule dans la grande ville, et elle assume - tout en essayant de ne pas perdre le contact avec son père et le petit garçon, son neveu.

 

 

   

Le 1er décembre 2011, soirée exceptionnelle autour du conte de Flaubert : La légende de Saint Julien l'Hospitalier et du film qu'en a tiré Jean Seban.

Toute l'info : ici

 
 
Le 19 novembre 2011 nous étions réunis chez Nicole et Roland pour discuter du roman de Mathias Enard, Rue des voleurs.
 
Ce roman est très "actuel", on en parle beaucoup dans les médias et il parle de l'actualité la plus récente - il colle complètement au contemporain. L'auteur lui-même a dit (Le Monde) qu'il voulait montrer la "complexité du monde d'aujourd'hui, la diversité de ces cultures qui se mélangent" et c'est ce qui l'a poussé à "se mettre dans la peau" de ce jeune Marocain, Lakhdar. Enard vit à Barcelone, il est au coeur des problèmes culturels, sociaux et politiques de la Méditerranée. Et c'est aussi un vrai écrivain, qui maîtrise complètement son art: pour chaque oeuvre il choisit exactement la forme et le style qui conviennent. D'où des oeuvres très différentes.
Donc il a réussi à mettre tout un monde dans ce récit (assez palpitant) raconté à la première personne, y compris des quantités de citations et d'allusions à des livres.
On a passé en revue le nombre incroyable de genres dans lesquels s'inscrit Rue des voleurs: le roman picaresque, le roman de formation, le roman de voyage, le polar, le roman de gare, le roman noir, le documentaire même... Justement, on a trouvé que le style était cette fois un peu au ras du réel, presque journalistique. Ce roman nous emmène dans un ailleurs qui est le réel - c'est le paradoxe - et donc il ne nous fait pas rêver. 
Il y a aussi le côté très construit: chaque épisode est vraisemblable, ces choses existent bien dans le réel, mais leur assemblage, leur concentration sur le même personnage montrent que Lakhdar est plutôt un support, il a finalement quelque chose d'abstrait (un peu comme Candide?).
Une des belles inventions, ce sont les citations en arabe, en écriture arabe, qui parfois ne sont même pas traduites, et qui ouvrent le roman sur l'énigme poétique.

 
     
Nous avons eu hier notre soirée de rentrée, c'était très sympathique et animé, même si nous étions moins nombreux que d'habitude (plusieurs s'étaient excusés pour empêchement ou voyage).
Le Dépaysement. Voyages en France est un livre très dense, superbement écrit, qui - une fois qu'on est entré dedans - suscite l'admiration et pour certains l'enthousiasme. Pour choisir ses "voyages", Jean-Charles Bailly a utilisé plusieurs "clefs": des figures comme Rimbaud, Carmontelle, Courbet ou Vidal de La Blache... des lieux marqués par un drame historique ou par une utopie, comme Varennes, Verdun, Arc-et-Senans ou Guise...des groupes comme les Portugais de France...Il a suivi aussi toute sorte de "chemins": le chemin de fer d'abord (qui dans les villes permet de voir l'envers des façades sur rue), puis aussi des lignes de fracture et des frontières, des rues de petites villes (comme Raymond Depardon), et des rivières surtout...Il s'intéresse à tout, à une petite gare oubliée, à la gelée dans la vitrine du charcutier, au parking de l'hypermarché, aux vaches dans les prés comme aux sources de la Loue. Mais ce parcours apparemment fantaisiste n'a rien d'inconsistant, car l'auteur s'appuie sur trois forces toujours présentes: son style, sa culture et sa sensibilité, et surtout il ne perd jamais de vue sa question: qu'est-ce que "la France", en quoi consiste "l'identité" de ceux, si variés, qui l'habitent? 
C'est un livre de lecture lente, il a fallu l'été pour le lire, par petits bouts. Hier soir, chacun a eu envie de lire à voix haute une phrase ou un paragraphe. Ceux qui l'ont lu ont envie de le relire, et ceux qui ne l'ont pas lu - eh bien, on peut le leur prêter.
 

 
     
 
Nous étions douze, pour une discussion animée et longue sur "Les petits chevaux de Tarquinia". C'était très italien et on n'a pas lésiné sur le campari.
C'est un bon roman pour entrer dans le monde de Marguerite Duras. 
Il peut se lire à plusieurs niveaux. D'abord comme un roman de vacances, à lire en vacances - et alors il rend si bien le far niente et la chaleur anesthésiante qu'on peut s'y ennuyer, car il est très lent (certains ont eu l'impression que l'histoire durait des jours et des jours, alors qu'en fait tout ce qu'on a c'est: 1 jour + 1 nuit + 1 jour). Au contraire on peut le voir comme un roman sur les grandes questions, le couple, l'amour, les enfants, la guerre, la mort, la liberté - mais ces questions ne sont jamais traitées frontalement, tout passe dans de petits échanges dialogués presque frivoles, avec des mots simples, des répétitions et beaucoup de non dit. 
C'est aussi un roman très bien construit, un récit qui se referme sur lui-même, une histoire rythmée par un paysage et par les heures, qui se passe dans un lieu unique un peu ingrat et surtout étouffant, et qui fait vivre un petit groupe de gens très soudés, qui ont une complicité entre eux (un peu comme dans "Le soleil se lève aussi" de Hemingway - 1926).  Il y a beaucoup d'humour (comme chez Hemingway), des détails qu'on n'oublie pas (les vongole, les bitter campari qu'ils s'envoient sans retenue, comme chez Hemingway le double scotch) - et certains personnages sont hauts en couleur (la bonne, l'épicier, le couple italien avec sa dynamique bizarre). 
 

 

Enfin, ceux qui connaissent déjà Duras retrouvent l'esquisse de ses motifs et ses obsessions, déjà bien repérables dans ce roman de facture encore traditionnelle, qui date de sa première manière (il est proche du "Barrage contre le Pacifique", écrit, lui, plutôt à la manière de Steinbeck). On reconnaît la force de la passion, la femme qui lâche tout et suit un homme apparu de nulle part, le malheur qui rôde (ici, dans la montagne, autour des deux vieux et de la caisse à savon), l'enfant impénétrable...
J'ai pu contribuer en montrant le fond autobiographique du roman: le couple italien est constitué de Elio Vittorini, un intellectuel communiste célèbre, l'auteur des "Conversations en Sicile" et des "Femmes de Messine", et de sa compagne, qui à l'époque s'appelait vraiment Gina; le couple français, c'est la romancière avec son mari Robert Antelme dont elle n'a pas encore divorcé au début des années 1950 - mais il manque au tableau son nouveau compagnon Dionys Mascolo, qui est en fait le père de l'enfant. Donc elle a pris le réel et elle l'a changé, elle a brouillé les pistes, comme souvent. Mais cela veut dire que l'un des grands non dits, ce sont les débats politiques entre Vittorini et Antelme, qui étaient sûrement bien plus structurés que ces petits riens que nos personnages échangent dans un fascinant parti pris d' "inintelligence. J. Bem.

 
   
     

 Le roman de Laurence Cossé, Les amandes amères, a pu dérouter à cause du manque d'intrigue, du côté répétitif - avancées, reculs. A l'inverse, on peut dire que le roman est porté par le projet (même si le projet échoue - la fin est une tragédie) et aussi par le dévoilement progressif du "roman de Fadila", de sa vie poignante.
Le livre a des aspects passionnants. Joselyne a fait une recherche et nous a appris que la romancière avait intégralement vécu cette histoire, tout est vrai, sauf le personnage d'Edith. Cossé avait tenu un journal, en présence même de Fadila: les phrases de Fadila ont toutes été prononcées. Donc en fait c'est un "docu-fiction".
Roselyne Guilloux, qui a une compétence sur l'apprentissage de la lecture et de l'écriture chez les enfants, nous a donné un éclairage théorique. Dominique nous a parlé de son expérience d'enseignante avec des adolescents.
Dans le roman, Edith fait des fautes, qu'elle corrige au fur et à mesure. Peut-être ne fallait-il pas commencer par le prénom, mais plutôt par des mots courts et qui renvoient à un intérêt pratique. Le prénom, le nom mettent en cause l'identité. Fadila a un problème avec le symbole, l'abstraction, la mise en ordre des signes. Nous avons les capacités visuelles pour mettre en séquence les signes (voir l'article sur les babouins), mais chez elle qui n'a pas appris enfant à lire l'arabe, qui n'a jamais dessiné, chez qui ces structures cérébrales n'ont pas été activées dans l'enfance, il est sans doute trop tard. Roselyne a insisté sur sa relation à sa mère, qui la bloque.

 

 

 On a parlé du récit à la 3e personne et du personnage d'Edith, un personnage qui reste volontairement en retrait. Sa réserve est une marque de respect pour l'immigrée, elle veut mettre à distance le passé colonial. A noter que le roman est construit sur toute une série d'oppositions, parfois fausses, qu'il met en question. La relation Nord - Sud est présente mais ne doit pas se recouper avec riche / pauvre ou intelligent / bête... Seulement, cette sorte de froideur d'Edith a pu être un frein, il faut une relation chaleureuse pour une bonne transmission. Si Edith est froide, Laurence Cossé en tout cas a écrit un "tombeau" à cette femme que nous voyons avec sa dureté, son honnêteté, ses frustrations, sa dignité, et même dont nous entendons la voix.  

 

 
     

Au premier abord, La Casatti est une biographie (parfois un roman, quand les sources manquent et que la romancière comble les trous) qui est entremêlée de bribes d'autobiographie — une forme qui a été jugée intéressante par la plupart. Le résultat paradoxal est donc ce roman glamour où on voit défiler la crème de la littérature et de l'art du premier 20e siècle, un roman construit cependant autour d'une personnalité frivole, factice, vide. Le portrait photographique de Man Ray, la femme vamp aux trois paires d'yeux (photo) en est le meilleur symbole. Le plus étrange est que Man Ray considérait la photo comme ratée et sans l'intervention de son modèle, il l'aurait jetée.
Luisa, marquise Casati, a beaucoup en commun avec cette autre somptueuse excentrique, Peggy Guggenheim, dont elle a même habité un moment et par avance le palais vénitien. Mais Peggy a collectionné assez de tableaux modernes pour fonder un musée, tandis que Luisa n'est que caprices, fuite en avant, ruine sordide. Elle ne laisse pour toute trace d'elle qu'une centaine de portraits où elle s'offre à notre regard sous d'innombrables masques. Une quête d'identité habite le livre, et en ce sens Camille de Peretti avait peut-être besoin de Luisa pour se trouver? Même si, bien vite, leurs chemins se séparent (p. 100). L'histoire propre à la romancière, la part autobiographique, est plus tonique. Camille de Peretti accomplit quelque chose en écrivant. Le rêve de son héroïne — "Elle deviendrait une oeuvre d'art" (p. 118) —, c'est en fin de compte ce roman qui le réalise.

La Casati

 

 
     

 Le roman de Carole Martinez, Le coeur cousu, a suscité des débats très animés.
 Il a été soutenu par une majorité (dont certains enthousiastes). On a aimé le basculement constant entre le monde du conte et le réel, l'aspect énigmatique et atemporel, la fantaisie des personnages et des péripéties, la beauté des couleurs, surtout peut-être l'énergie qui se dégage de cette écriture.
 Cependant, quelques-uns étaient plus réservés. Trop de prose poétique (il n'aurait pas fallu le lire juste après Aragon!), trop d'ethnographie, pas mal de cruauté, et cette impression que cela aurait pu continuer encore longtemps - c'est-à-dire que l'extinction du récit est difficile.
 Il paraît que le suivant, Du domaine des murmures, est un peu moins exubérant.

 

 

 

 

 

 
     

 Nous avons ouvert l'année en grand nombre, et en sympathie avec Aragon. La discussion a bien duré deux heures. 
Les voyageurs de l'impériale a été très apprécié pour la fresque historique qui mélange le vrai (par exemple l'Affaire Dreyfus) avec la fiction (l'intervention dans l'Affaire de M. Castro) et qui nous emmène de 1889 jusqu'à août 14 (non sans référence cachée à l'autre guerre, que le romancier voit venir avec horreur). On a admiré la capacité d'empathie d'Aragon pour tous ses personnages  - enfants, ados, adultes, vieillards, paysans, ouvriers, prostituées, "belles étrangères", bohèmes, bourgeois etc. -, ainsi que sa manière entraînante de raconter. Son style surtout, avec ses images charmantes, toujours appropriées, et son traitement de la parole (discours indirect libre, pas de guillemets) qui donne au texte une sorte de fluidité. Le livre est long mais on n'est jamais à la peine.
On parlé de la vie d'Aragon, qui a eu beaucoup de phases et de facettes, avec pourtant une continuité: une fêlure originelle. Celle-ci se traduit dans les contradictions dont est tissé le roman, qu'il s'agisse de la variété des caractères, des situations, des milieux, des lieux... Il y a les contradictions internes aux personnages, c'est très frappant dans le cas de Pierre Mercadier, sans parler de l'entremêlement entre individuel et collectif - les scènes de foule, de rue, aux "Hirondelles", au château, ou chez les Meyer....
Aragon arrive à rendre l'imprévu et l'inévitable des destins, le scintillement de la vie. Nous sommes tous des voyageurs de l'impériale.

 Il le doit à sa spontanéité (il pratique l'écriture automatique des surréalistes) et tout simplement à son don, à sa virtuosité d'écriture. Le roman est tout chargé aussi d'inscriptions secrètes de son histoire familiale et d'allusions aux autres romans du cycle du "Monde réel" - si vous avez mordu aux Voyageurs, vous aimerez Les cloches de Bâle, un roman conçu autour de la figure de la femme moderne, qui se passe surtout à Paris au début du XXe siècle et qui ne rejoint Bâle que dans les toutes dernières pages (il s'agit du Congrès de Bâle organisé par la IIe Internationale socialiste, en 1912, qui voulait empêcher la guerre et qui échoua).
Dans la discussion, on a trouvé que le romancier Aragon était bien meilleur que le poète. Quant à la noirceur du roman, assez zolienne, ou célinienne, elle est rachetée par la beauté du récit.

 
Réunion en présence de l'auteur
 La rencontre du 16 novembre avec François Beaune à l'Hexagone a été bien appréciée, même si certains des lecteurs de L'Ange noir, ont trouvé ce roman très "noir"!
 C'est toujours intéressant  d'écouter un auteur parler de son travail! Il nous a dit qu'il avait voulu inscrire son livre dans un genre: le roman noir, le polar. Il avait voulu entrer dans la tête d'un tueur sériel. Il a aussi reconnu ses affinités littéraires avec Dostoievski, Céline, le roman américain... Mais son personnage, Alexandre Petit, est bien un trentenaire d'aujourd'hui, un jeune homme "différent" et "ordinaire" en même temps.
 Surtout, l'auteur a parlé avec simplicité et précision de sa manière de travailler: il prend des notes, écoute autour de lui, s'intéresse à la langue, aux particularités de langue des gens; puis un personnage se dégage peu à peu de ce magma; finalement il rédige, en reprenant et en réécrivant beaucoup, en accord avec ses éditeurs. Dans ce cas particulier, il fallait ménager le suspense, et c'était difficile.
 
 

 
     
   ll fut question de sa façon de travailler et de son projet actuel sur une année : la collecte "d'histoires vraies" autour de la Méditerranée, un mois pour chaque étape. Ni exotisme ni sauvegarde, plutôt "proposer de la matière première neuve pour voir et penser  le monde d'aujourd'hui". François Beaune aime rencontrer les gens, l'écoute fut réciproque !
En 2008 et 2010, François Beaune a participé à la Fête du Livre d'Autun.
 
 
     

Lundi 10 octobre 2010, chez Jeanne. Nous avons passé une belle soirée "italienne", très animée, commencée au son de la chanson des ouvrières des rizières de Padoue, "Bella Ciao".

Le roman de Silvia Avallone, D'acier, se passe sur la côte toscane, en face de l'île d'Elbe, dans une ville industrielle réelle, Piombino, où fonctionnent encore des aciéries (la Lucchini du roman et même une Arcelor Mittal). C'est "la vraie Italie", l'envers de l'Italie des touristes. C'est un roman très "noir", à la manière de Zola, pire encore car il reste peu d'éléments positifs, tout est détruit, c'est le monde "postmoderne". On est en 2001-2002, au début de l'ère Berlusconi (dont on ne sait s'il est la cause ou le symptôme de cette désintégration, en Italie). Le personnage du jeune ouvrier, Alessio, un garçon de son temps, pas un ange, est tout de même porteur d'un discours de résistance, face à son maffioso de père: il existe encore une conscience ouvrière en Europe. Mais Alessio n'est pas organisé, en Italie comme ailleurs tout a lâché - les services sociaux, les partis politiques, les syndicats, l'église même. A la fin, Alessio est accidentellement écrasé par les chenilles de l'engin conduit par son ami Mattia. La jeune romancière l'a symboliquement sacrifié.

 

Tout le monde s'est accordé pour trouver que l'observation du réel était très juste, en particulier pour ce qui est de la condition ouvrière aujourd'hui, mais aussi concernant le monde des adolescents, leur précocité, leur fragilité, leurs plaisirs et leurs rêves. L'extrême brièveté de ce moment de la jeunesse, dont témoignent aussi les mères, jeunes encore et déjà usées. L'oppression des femmes a pour pendant le machisme - les pères des deux héroïnes sont des sortes d'ogres. On s'est demandé s'il y avait des éléments autobiographiques, tellement le cadre, les détails concrets, les impressions sensorielles, l'atmosphère, semblent pris sur le vif. Comme par exemple les souvenirs d'enfance et les jeux des deux jeunes filles de 14 ans, Francesca (qui veut devenir mannequin, passer à la télé) et Anna (qui veut faire des études). Leur amitié, leur amour, qui remonte à l'âge de deux ans, est au coeur du roman et en constitue la trame sentimentale la plus brûlante.

  Silvia Avallone a choisi un espace très fermé malgré la mer. Personne ne va nulle part, même pas sur l'île d'Elbe, si proche, qui est l'horizon inaccessible revenant constamment en leitmotiv. A l'intérieur de cet espace, les destins croisés d'un petit groupe de personnages se déroulent sur un an. L'auteur a une écriture contemporaine, influencée par le cinéma, la BD, le roman graphique: découpage cinématographique; longs dialogues en style oral, en argot; travelling et panoramique; montage alterné; et dans les dernières pages un texte fragmenté, dans une accélération haletante. Jeanne Bem.

 

    

 

 
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Le roman de Katarina Mazetti, Le mec de la tombe d'à côté (1998), traduit du suédois, a suscité une discussion animée. Sous son aspect humoristique, il présente des problèmes de société et de psychologie du couple qui sont de partout. Le fermier célibataire, qui pourrait être morvandiau, est traité avec délicatesse - on pense aux paysans des Cévennes dans le documentaire de Raymond Depardon, La vie moderne (2008). Le fossé culturel et le côté torride de la passion rappellent de grands modèles littéraires comme les romans de D.H. Lawrence, L'amant de lady Chatterley ou La fille perdue - la différence étant que le romancier anglais était d'un sérieux imperturbable. C'est l'héroïne, Désirée (quel est son vrai prénom en suédois?), qui a enflammé les échanges. Antipathique pour les uns, égoïste, arrogante, elle a été mieux comprise et défendue par d'autres. Notre citadine ikea aurait-elle dû oublier ses rayonnages de livres pour s'intéresser davantage aux vaches? En fait elle est déjà un peu démodée - elle a 35 ans au milieu des années 90, c'est avant Internet. Mais elle est typiquement la jeune femme moderne du 20e siècle, cette femme émancipée dont parle Norbert Elias (cité par Nathalie Heinich dans son essai de sociologie littéraire Etats de femme. L'identité féminine dans la fiction occidentale, 1996). Cette émancipation a déstabilisé le couple traditionnel, et ce roman met le doigt avec légèreté et sûreté sur ces nouveaux et apparemment insolubles problèmes existentiels et relationnels.

 

   

 Le roman de Jacques Gélat, La Couleur inconnue (2000), est publié chez José Corti, l'éditeur du Rivage des Syrtes de Julien Gracq, dans la collection "Merveilleux". 
Plusieurs participants l'ont lu comme un conte, une fable - le seul problème, c'est qu'à la fin le méchant n'est pas puni et qu'on ne sait trop comment interpréter le sort du gentil héros: "Debout, devant la balustrade, il vit un trou énorme, blême, qui allait l'engloutir". Si c'est un roman d'initiation, on peut penser que le jeune Vivien a accompli son initiation en retrouvant d